Rencontres non fortuites…
Une de ses dernières interventions, qui nourrit d’ailleurs l’actuelle manifestation à la Maison Salvan, avait pour qualificatif : philotopique. Ce terme inventé par Carl pourrait être une synthèse de ses intentions, de ses ambitions. Philo : l’amitié, l’empathie, associée à topos : le lieu. Echange entre le lieu et l’artiste et lieu de l’échange avec le public.
Les matériaux qu’il utilise depuis une quinzaine d’années, (à l’Ecole des Beaux Arts déjà), appartiennent sans hiérarchie aucune à des genres que des esprits dits cartésiens rangeraient dans des catégories bien distinctes : la terre, la voix, la philosophie dont les pensées extra-lucides de Gilles Deleuze, des instruments de la société de consommation, des ritournelles, des religions… le jardin au sens paradisiaque et mythique du terme, mais aussi au sens du jardinage, tâche patiente et quotidienne… l’idéalisme, l’humilité… et aussi et surtout les gens… et l’écologie, et la récupération de petites choses qu’on ne regarde même pas quand on les jette à la poubelle.
À la fois terrien et rêveur, rigoureux et pétri de poésie, non seulement il réunit les contraires, détourne de leur fonction habituelle des éléments de notre vie quotidienne pour leur donner, sans violence mais avec une douce persuasion, une dimension qui, tout en provoquant un sourire sérieux, déstabilise et fait réfléchir. À une forêt de manches à air rouges et blanches, il enlève la fonction première pour créer un ballet bruissant et captivant.
C’est de la rencontre – non pas « fortuite » comme disaient les surréalistes – d’éléments appartenant à des univers différents que naît l’œuvre, son esthétique et son sens.
La rencontre, c’est ça ! Carl a besoin de ces rencontres, il sait les provoquer et les faire vivre.
Il regarde, observe, sent, ressent, butine, évalue et choisit exactement ce qui va nourrir son travail plastique et lui donner sens.
Pas plus que Deleuze ou Don Quichotte il n’apporte de réponse aux questionnements fondamentaux et il sait la richesse des paradoxes et la puissance de la poésie.
Carl ne croit pas en Dieu, mais est fasciné par les rituels religieux au point qu’il en organise et invite les autres à y participer. L’iconographie chrétienne et la liturgie sont détournées avec une insolence maîtrisée aussi bien dans certaines performances que dans les installations. Des bougies blanches, plus exactement des cierges de Lourdes, ne deviennent-ils pas serpent marial après une manipulation simple mais habile et efficace : le thermoformage.
… de petits dépôts de terre coincés dans les reliefs des sabots de jardinage naît une écriture cunéiforme « hurtiniennne »: les écritures de jardin.
… du souffle de celle ou celui qui lit un texte qui lui est cher sont extraites quelques gouttes d’un liquide précieusement conservé dans des fioles soigneusement étiquetées, comme si l’essentiel était invisible.
…du pixel, plus petit élément d’une image numérisée, il change la nature première. De virtuel et informatique, il le métamorphose en élément vivant, choisi et placé dans un vrai jardin par des participants humains, le pixel assume alors le risque de naître, de croître et de mourir.
Ce ne sont là que quelques exemples de cette capacité si personnelle à créer un langage plastique d’une grande justesse.
Mais le travail de Carl Hurtin ne s’analyse pas, il se vit … il pose donc la question de sa postérité… partiellement résolu par le filmage et la monstration des vidéos.
Catherine Huber
Texte écrit pour l'édition "Champ ouvert/Tragédie des communs", Esthétique du rassemblement.
Catherine Huber a été conservateur en chef du patrimoine puis enseignante à l’école des Beaux arts de Toulouse. Elle écrit la rubrique Arts Plastiques pour Flash Hebdo. Elle fait partie de l’association des amis de la Maison Salvan, a participé à la performance/lecture « Extraits », a cousu la doublure de « La robe » et a souscrit à l’édition de « Pixels ».